Alain Alquier ou la métaphore de l’abstraction

C'est par un matin de décembre gris et pluvieux que j'ai découvert le sens du travail d'Alain Alquier. Dans son atelier, sur un chevalet posé devant une fenêtre où se découvre la lumière hivernale de la campagne gersoise est posée une peinture sur papier, en larges bandeaux verticaux. Révélation : ces grandes plages verticales forment un rideau ouvert sur la réalité du dehors. L'art d'Alquier ne serait-il pas une abstraction directe de la figuration, avec ses ombres et ses lumières ?

 

N'ai-je pas lu quelque part sous la plume de l'artiste : "ma peinture est une accumulation d'instants unifiés en un même lieu. Elle est le théâtre de mon existence". Cette peinture théâtre obéit-elle à la règle des trois unités ? La minimalité de l'écriture, plus complexe qu'il n'y parait au premier regard, la verticalité / poussée vers le haut et la vibration colorée, semblent ici s'être substituées aux règles classiques.

 

Revendiquées haut et clair par l'artiste, ces trois unités sont vraiment sa marque et l'objet même des nuits qu'il consacre à ses tableaux.

 

Certes, ces "rideaux" sont en forme abstraite une recherche parfaite, que l'artiste peut multiplier et maîtriser à l'infini, semble t-il. Mais l'on sent bien que chaque coup de brosse ou de pinceau est mesuré, et qu'Alain Alquier livre ici son âme, en ombres et en lumières pleines. C'est une forme dépouillée de figuration plus que d'abstraction.

 

"La verticalité", nous dit l'artiste, "traduit l'aspiration au sublime, à la plénitude ". Elle donne l'impulsion vers le haut". On comprend tout à fait cela comme ces immenses poussées de colonnades gothiques des cathédrales des XIII et XIV ème siècles où là aussi, la lumière flirte sans cesse avec les ombres. Lorsque toute une salle d'exposition est ainsi ceinte de ces grands tableaux verticaux, on ressent cette même impression de recueillement, celui qui pousse au silence et à la méditation. C'est donc une écriture assurée, maîtrisée, où l'artiste propose à son lecteur une base spirituelle très solide.

La vibration colorée, où Alquier, à l'image de Soulages ou de Rothko, parvient à faire pétiller différents tons de noir ou de blanc l'un sur l'autre, est la troisième composante de son art. Il semble pouvoir réchauffer même les couleurs froides, et c'est sans doute ce qui achève d'apporter la métaphore figurative à sa peinture. L'ombre s'y oppose à de multiples lumières, et l'on comprend facilement que l'artiste imprime ici ses états d'humeur successifs et nous transmet le reste du fond de son âme. Son écriture n'a presque plus de secret pour nous à ce stade. "Peindre c'est préserver l'essentiel, toucher l'âme par la lumière en structurant l'impalpable..." Les rideaux d'Alain Alquier sont donc des passages "au-delà du miroir", ils sont les portes d'un monde de contemplation du sublime, les reflets de l'absolu.

 

Et que dire de ces montages où l'artiste, comme à travers les strates de sa mémoire, combine la photo, sa deuxième vocation, à la peinture, ici posées en couches qui se superposent, comme pour garder en transparence la verticalité latérale des grandes peintures. La démarche est ici plus ludique, l'effet esthétiquement et visuellement très abouti. "La transgression de quelques règles", livre Alain Alquier, "m'offre une autre liberté de création". Au-delà de l'intérêt plastique, c'est sans doute une écriture plus intimiste qu'il nous livre ici, même s'il cherche sans doute à égarer le lecteur à travers des images paradoxales, voire antagonistes. C'est là toute la magie de l'artiste.

 

Ces deux facettes de l'art d'Alain Alquier sont sans doute difficiles à dissocier et fournissent à ses humeurs créatives deux beaux terrains d'exploration, qui pour aussi différents qu'ils paraissent être, offrent en tout cas au commissaire d'exposition que je suis un riche matériau où se mêlent extériorisation et méditation, mentale et spirituelle, image et abstraction, noir et blanc, bref l'ombre et la lumière.

 

André LIATARD

Février 2009

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